Difficultés de recrutement : un sujet ancien, des tensions qui se renforcent

En cet automne 2021, les difficultés de recrutement se retrouvent une nouvelle fois au cœur du débat public. Au niveau national comme au niveau local, nombreux sont les acteurs politiques ou économiques qui alertent sur ces difficultés qui, d’une certaine manière, viendraient obérer les pleins effets de la reprise économique, celle-ci étant plus vigoureuse que prévue. Cette problématique qui n’est pas nouvelle s’inscrit donc dans un contexte particulier de « sortie de crise », et, plus largement dans une tendance au renforcement des tensions sur le marché du travail relevée par la Dares et Pôle Emploi depuis 2015. Ainsi, selon les deux institutions, en France, 6 métiers sur 10 étaient en forte tension de recrutement en 2019 contre 1 sur 4 en 2015.

1 projet de recrutement sur 2 jugé difficile en 2021 en Indre-et-Loire

En Indre-et-Loire, l’enquête BMO (Besoin en main d’œuvre) réalisée par Pôle Emploi avec le concours du Crédoc indique que les employeurs prévoient 20 970 projets de recrutement pour 2021 tous secteurs confondus, soit une augmentation par rapport à 2019 (+2%). Sur cet ensemble, 49% sont anticipés comme difficiles. Le taux est élevé, à 65%, dans la construction. Inversement, il est de 25% dans l’agriculture et de 39% pour le commerce. Les services aux entreprises et aux particuliers affichent des taux voisins, de 51% et 56% respectivement. L’industrie (y.c. énergie) représente 1 930 des projets de recrutement recensés en 2021, un nombre en hausse par rapport à 2019. Parmi eux, 42% sont considérés comme difficiles.

Les 5 métiers non saisonniers pour lesquels les projets et difficultés de recrutement sont élevés en Indre-et-Loire en 2021 (Source : Enquête BMO, Pôle Emploi, 2021)

Les difficultés de recrutement ont des causes variées

Une des raisons régulièrement avancée pour expliquer ces difficultés, et donc la coexistence d’emplois vacants et de chômeurs dans l’économie, est que nombre de ces derniers ne chercheraient pas un emploi activement voire même qu’ils refuseraient les emplois qui leurs sont proposés. Une des réponses politiques à cette situation consiste alors à renforcer les contrôles et à sanctionner les demandeurs d’emploi indemnisés, ou encore, à rendre les revenus de remplacement (minimas sociaux, allocations, etc.) moins incitatifs que ceux du travail.

Les causes des difficultés de recrutement sont en réalité plus nombreuses. Ces dernières peuvent en effet être le résultat d’une inadéquation entre les compétences offertes par les travailleurs et celles qui sont demandées par les entreprises (skill mismatch), d’un éloignement spatial aux bassins d’emplois (du côté des chômeurs) ou de main-d’œuvre (du côté des entreprises) (spatial mismatch), des comportements des chômeurs dans un monde d’imperfection de l’information sur les offres d’emplois, des comportements des recruteurs en matière de sélection de candidats, de la qualité de l’action des intermédiaires sur le marché du travail, d’un défaut d’attractivité des métiers… En outre, les difficultés d’appariement sur le marché du travail ne touchent pas dans les mêmes proportions toutes les personnes à la recherche d’un emploi, tous les territoires, toutes les entreprises ou encore tous les métiers. Enfin, dans le contexte particulier de cette année 2021, la Dares précise que la forte intensité des embauches à partir du mois de mai a fortement joué sur les difficultés de recrutement. Après la fermeture de pans entiers de l’économie, les entreprises ont cherché toutes en même temps à recruter alors que les demandeurs d’emplois n’ont que très progressivement repris leurs recherches puisqu’ils se trouvaient sur un marché du travail dégradé quelques semaines plus tôt.

Carte des tensions de recrutement par département en 2019

Note : L’indicateur de tension prend une valeur allant de 1 à 5. Plus son niveau est élevé, plus les tensions de recrutement sont fortes. La définition de l’indicateur de tension se trouve en fin d’article.

La Dares vient aussi préciser le poids des différentes causes venant d’être mentionnées sur les tensions de recrutement sur les métiers en 2019 observées en France. On y apprend que dans un tiers des cas, il s’agit d’abord d’un problème d’inadéquation entre les compétences détenues par les demandeurs d’emploi et celles qui sont demandées par les entreprises, quand bien même les métiers ont des conditions de travail attractives. Il s’agit notamment de métiers de techniciens qualifiés de l’industrie (techniciens de la mécanique ou de l’électricité par exemple), du bâtiment (plombiers, charpentiers), et de la quasi-totalité des métiers d’ingénieurs dans l’industrie, le bâtiment ou l’informatique.

Dans un quart des cas, les tensions proviennent de conditions de travail entrainant un manque d’attractivité des métiers comme les aides à domicile, conducteurs routiers, ouvriers non qualifiés de l’industrie (agroalimentaire, bois, métal) ou certains ouvriers qualifiés de l’industrie et du bâtiment ainsi que les serveurs. Dans 1 cas sur 5, les deux premières causes se cumulent : inadéquation des compétences et conditions de travail difficiles ; ceci est particulièrement vrai pour les métiers d’aides-soignants et les métiers de bouche. Enfin, les autres cas révèlent des causes plus variées, dont des problématiques d’inadéquation entre la localisation géographique des postes à pourvoir et des demandeurs d’emploi détenant les compétences pour les occuper.

Pour en savoir plus sur le poids de chacun des facteurs explicatifs des tensions par métier, rendez-vous sur le site des portraits statistiques des métiers de la Dares.

Les plus forts volumes d’offres d’emplois collectées au premier trimestre 2021 par Pôle Emploi en Indre-et-Loire sont dans les familles professionnelles des services à la personne et à la collectivité ainsi que dans la construction, le bâtiment et les travaux publics (plus de 1 000 offres sont relevées dans ces familles professionnelles). Elles correspondent donc à des secteurs connaissant des difficultés de recrutement importantes, en raison notamment de problématiques d’inadéquation des compétences et de défaut d’attractivité lié aux conditions de travail notamment.

Offres d’emplois collectées par Pôle Emploi, 1er trimestre 2021 - Indre-et-Loire - par familles professionnelles (Source : Pôle Emploi)

Exemples d’actions pour résoudre les difficultés de recrutement

Les pouvoirs publics locaux et nationaux, les intermédiaires du marché du travail ou encore les entreprises et leurs représentants ont tous un rôle à jouer dans l’apaisement de ces tensions de recrutement.

Il peut s’agir pour ces acteurs de mettre en œuvre des stratégies d’adaptation du système de formation aux besoins de l’économie : proposer des formations aux demandeurs d’emploi correspondant aux métiers en tension, faciliter le recours à la formation professionnelle continue pour former les salariés déjà présents dans les entreprises (et leur permettre ainsi une mobilité interne ou externe), revaloriser et développer l’apprentissage, etc. Pour répondre à leurs besoins de recrutement, certaines branches professionnelles ou entreprises créées leur propre diplôme, leur certificat de qualification professionnelle, leur centre de formation en interne, mutualisent leurs besoins au sein de groupements d’employeurs ou encore, mettent en place des partenariats avec le corps enseignant. De façon complémentaire, les interventions de l’État et des collectivités locales dans les domaines des politiques sociales, de transport, de logement et d’aménagement du territoire sont des moyens de pallier les difficultés de recrutement sur les marchés locaux du travail.

Les actions peuvent aussi porter sur les politiques de recrutement et de ressources humaines en entreprise : travail sur l’expression des besoins, le process de sélection des candidats, développement de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (pour faire face aux départs à la retraite, anticiper les besoins futurs des salariés en termes de compétences, etc.), proposition d’évolutions de carrières stimulantes, valorisation de la marque employeur, politiques de fidélisation des collaborateurs, etc. Encore, les entreprises ou les branches professionnelles peuvent mener des actions pour améliorer l’image des secteurs et rendre les métiers plus attractifs : renforcer les liens avec des écoles préparant à des diplômes dans leurs secteurs d’activité, se rapprocher des professionnels de l’éducation, informer les jeunes sur leurs débouchés et les perspective lors de forums des métiers ou salons par exemple, favoriser l’immersion des jeunes dans l’entreprise, agir sur le parcours d’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi, ou encore améliorer les conditions de travail et le niveau des rémunérations.

Définition
La Dares et Pôle emploi ont élaboré un indicateur synthétique de tension, établi à fréquence annuelle depuis 2011 et décliné par métier, de l’échelon national au niveau départemental. Cet indicateur prend en compte, pour chaque métier et dans chaque zone géographique, le niveau des difficultés de recrutement anticipées par les employeurs, les offres d’emploi rapportées au nombre de demandeurs d’emploi, et la facilité qu’ont les demandeurs d’emploi à sortir des listes de Pôle emploi. Une hausse de l’indicateur correspond à un accroissement des tensions. Cet indicateur synthétique est accompagné de six indicateurs complémentaires pour tenir compte des divers facteurs à l’origine des tensions. Ils permettent d’identifier les causes possibles des tensions et des difficultés de recrutement : fréquence élevée des besoins de recrutement, conditions de travail ou d’emploi peu attractives, manque de main-d’oeuvre disponible, décalage entre les compétences requises par les recruteurs et celles détenues par les personnes en recherche d’emploi, ou désajustement géographique entre la demande et l’offre de travail.

Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/portraits-statistiques-des-metiers

Sources de l'article :
- Dares, 2021, « Quelle relation entre difficultés de recrutement et taux de chômage ? La courbe de Beveridge en France et dans d’autres pays européens », octobre.
- Bourdu E., Dubois C., Mériaux O., 2014, L’industrie jardinière du territoire, Paris, Presses des Mines.

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